Dans son mémoire de 1931 d’une cinquantaine de pages , Gödel avance
par étapes en déclinant 46 définitions et 10 théorèmes préparatoires .
Suivant les avancées où l’on se situe dans cette progression , on
peut énoncer ses résultats de façons plus ou moins évolutives :
D’abord , il s’agit de considérer que l’on se place dans le cadre d’un
système axiomatique composé d’une base d’axiomes cohérents (non
contradictoires) et de règles de procédure logiques habituelles , ce
système étant suffisamment important pour porter en lui toute
l’arithmétique des entiers naturels , et s’inscrivant dans le cadre de
procédures finies (« récursivité ») .
Si l’on s’arrête à un stade intermédiaire , on peut énoncer un premier
résultat : dans un tel système axiomatique , il existe toujours des
propositions formulables en termes du système , qui sont indécidables
(c’est à dire que ni elles-mêmes , ni leurs négations , ne sont
démontrables par des procédures du système) .
C’est à dire que dans l’ensemble de l’univers du système , aucune
enquête logique ne pourra établir des preuves irréfutables de ce qui
s’est passée dans certaines circonstances de son fonctionnement : il
existera toujours des circonstances qui échapperont au cours de la
« procédure » d’enquête , qui seront indémontrables par n’importe quelle
autre procédure d’enquête .
A un stade plus avancé , Gödel a démontré un résultat plus précis :
dans un tel système axiomatique , il existe toujours des propositions
qui sont vraies , mais indémontrables dans le cadre des procédures du
systèmes (non seulement indécidables , mais vraies ) .
C’est à dire qu’il y a des situations réelles dans cet univers où aucune
procédure d’enquête définie par les règles « légales » du système ne
pourra établir les preuves objectives de cette réalité .
A cette nuance près que Gödel a établi que ces situations réelles
non accessibles par une procédure légale du système , sont néanmoins
non des chimères , mais des vérités du système , c’est à dire
justifiables par des raisonnements (mais des raisonnements extérieurs
au système lui-même : raisonnements dits métamathématiques ) .
Là se situe le tout de force le plus magnifique de Gödel :
1) Etablir les limites des systèmes axiomatiques : Quel que soit le
système d’axiomes (cohérent et suffisamment vaste pour porter
l’arithmétique ) , dans le cadre des procédures logiques habituelles
et finies , toutes les vérités du système ne sont pas accessibles en
restant à l’intérieur des procédures du système axiomatique .
2) Néanmoins , puisque vérités il y a , ces vérités ne sont pas des
« vérités révélées » (ou des axiomes qu’on rajoute aux axiomes) , ni
des chimères , mais des vérités établies par un raisonnement , ce
raisonnement étant établi à l’extérieur du système axiomatique ,
indépendant de lui (raisonnement appelé métamathématique)
Examinons très succintement la démarche de Gödel :
Gödel exhibe d’abord on proposition particulière qu’il note [R(q);q] ,
(qu’on n’énoncera pas ici , étant assez complexe) , et considère la
phrase « [R(q);q] n’est pas démontrable ».
Gödel démontre ensuite qu’en restant à l’intérieur du système
axiomatique choisi , la proposition « [R(q);q] » est indécidable , et donc
indémontrable. Et Gödel d’avancer :
Dès lors que l’on remarque que [R(q);q] est indécidable , il vient que
[R(q);q] indémontrable et donc que l’affirmation :
« [R(q);q] est indémontrable » est vraie .
De là , il déduit , entre autres , dans la cinquantaine de pages de ses
démonstrations que , de (« [R(q);q] est indémontrable » est vraie) , on
peut passer à : [R(q);q] est vraie .
Et Gödel alors de conclure :
» Ainsi , la proposition qui dans le système PM (le système axiomatique
choisi par Gödel), est indécidable , peut pourtant être décidée par des
considérations métamathématiques » .
Voici aussi ce qu’en dit JY Girard dans « Le Théorème de Gödel »
(Editions du Seuil , 1989) :
« Remarquons toutefois que nous avons établi cette vérité arithmétique
non pas en la déduisant formellement à partir des axiomes de
l’arithmétique , mais grâce à un raisonnement métamathématiques «
(P 88)
« Nous avons vu que les propositions mathématiques qui ne peuvent
être établies par déduction formelle à partir d’un ensemble donné
d’axiomes peuvent l’être néanmoins par un raisonnement
métamathématique non formalisé . Il serait bien léger d’affirmer que
ces vérités indémontrables formellement , mais établies par des
raisonnements métamathématiques , ne reposent sur rien d’autre
qu’un simple appel àl’intuition » (P 94) .
Ainsi , tout en établissant les limites propres aux systèmes axiomatiques
(basés sur des systèmes d’axiomes non contradictoires et des règles de
procédures logiques habituelles , et finies ) , par la constatation
qu’en restant à l’intérieur du système , beaucoup d’énoncés vrais
restaient indémontrables , Gödel a simultanément établi qu’il y avait
une porte de sortie à cet enfermement : de l’extérieur du système , un
certain nombres de ces vérités « indémontrables » peuvent être établies
par des raisonnements métamathématiques .
On constate de cette façon que l’ensemble des démonstrations qu’on
peut établir dans un système axiomatisé et l’ensemble des vérités qu’on
peut en déduire , ne correspond pas à l’ensemble des démonstrations
réalisables et à l’ensemble des vérités mathématiques qu’on peut
constituer .
Notons ainsi que si Gödel a rigoureusement établi un deuxième
théorème énonçant l’impossibilité de démontrer la cohérence d’un
système axiomatique en restant à l’intérieur de lui-même , on peut
néanmoins démontrer cette même cohérence par des raisonnements
métamathématiques : cf la démonstration métamathématique de
Gentzen en 1936 , établissant la cohérence du système axiomatique
définissant l’arithmétiques .
Références : on pourra entre autres considérer l’ouvrage collectif
auquel a participé J Y Girard :
« Le théorème de Gödel » (Editions du Seuil , 1989 ) , qui reste une
référence essentielle pour aborder les démonstrations de Gödel .